MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
Seriez-vous le prix Nobel de la guerre ?
La guerre n'est jamais juste
La fin ne justifie pas les moyens
Délégitimer le meurtre
La beauté du compromis
Désarmer les dieux
La force de l'action non-violente
Réconcilier la morale et le réalisme
L'intervention civile de paix
Inventer tout le possible de la non-violence
Résister au nazisme
Désobéir aux ordres du diable
Martin Luther King contre la guerre du Vietnam
« Certains tueront et certains seront tués »
La tragédie de la guerre d'Irak
Qu'est-ce que le terrorisme ?
Respecter les règles
La Cour pénale internationale
L'interdiction des annes antipersonnel
Donner la chasse aux talibans ?
Former les Afghans à la guerre civile
« La guerre est plus facile à remplir que la paix »
Face au conflit israélo-palestinien
De l'exhortation aux sanctions
Israël viole le droit international
La catastrophe humaine de Gaza
Un monde sans annes nucléaires
Réduire n'est pas désarmer
Soutenir la résistance iranienne
La peine de mort est un meurtre
Les armes à feu en vente libre
« La pertinence universelle du principe de non-violence "
Prendre le risque de la paix
Comme beaucoup d'autres à travers le monde, je me suis fort réjoui de votre élection à la Présidence des États-Unis. Avec beaucoup d'autres, j'ai espéré que vous seriez en mesure de donner enfin leurs chances à la justice et à la paix en changeant résolument la politique détestable menée par votre prédécesseur.
Lorsque le Prix Nobel de la Paix vous a été attribué le 9 octobre 2009, j'ai pensé que cette distinction était quelque peu prématurée, qu'elle était paradoxale - car enfin vous êtes un Chef d'État en guerre, un Chef d'État en deux guerres.
Mais, d'une part, vous n'avez pas choisi vous-même ce Prix et, d'autre part, vous n'avez pas vous-même décidé ces guerres dont vous avez en quelque sorte hérité.
En définitive, j'ai voulu croire que cette distinction renforcerait votre détermination et vous conférerait un surcroît de crédit pour assumer les lourdes responsabilités qui sont les vôtres. Aujourd'hui encore, je voudrais l'espérer.
J'ai entendu les commentaires étonnés, le plus souvent perplexes, parfois sarcastiques sinon désobligeants, suscités par l'allocution que vous avez prononcée le 10 décembre 2009 lors de la remise de votre prix à Oslo. Aussitôt votre discours terminé, les grands médias en ont rendu compte en faisant savoir que vous étiez le « Prix Nobel de la "guerre juste" ». Vous seriez donc le « Prix Nobel de la guerre » ? Car, toujours et partout, les États ont déclaré haut et fort que leur guerre était « juste ».
D'aucuns ont fait remarquer que le rapprochement de ces deux termes, Prix Nobel de la paix et Chef d'État en guerre, s'apparentait directement à un oxymore. Ce mot quelque peu étrange signifie dans notre langue l'alliance contre nature de deux termes contradictoires et incompatibles.
J'ai alors voulu lire attentivement le texte de votre allocution. J'ai été étonné de voir que vous ne traitiez pas seulement de la guerre et de la paix, mais, ce qui est beaucoup plus étonnant, de la guerre, de la paix et de la non-violence. Cela est tout à fait inhabituel de la part d'un chef d'État et c'est cela qui a fait naître en moi la volonté de venir dialoguer avec vous.
Je n'ai d'autre titre pour oser m'adresser à vous que celui de simple militant de la non-violence qui, depuis de longues années, s'efforce d'inventorier l'héritage que nous a légué Gandhi. J'ai la conviction profonde que la flamme fragile allumée naguère par le sage indien est la seule espérance qui puisse éclairer notre chemin dans un monde enténébré par de multiples violences.
Je suis également citoyen du monde, soucieux, comme vous l'êtes vous-même, de « rechercher un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants ». Et, comme vous-même, je crois « que leur vie sera meilleure si les enfants et les petits-enfants des autres peuvent vivre dans la liberté et la prospérité ».
Les commentateurs plus ou moins avisés ont-ils caricaturé vos propos en ne retenant que votre justification de la guerre ? Certainement. Car vous vous êtes efforcé de rechercher un équilibre entre les exigences de la paix et les contraintes de la guerre. Je n'entends nullement venir vous faire un procès d'intention. Je ne saurais douter de vos bonnes dispositions, ni même de votre bonne volonté.
Mais dans la position qui est la vôtre, il était certainement difficile de parler en même temps de la guerre, de la paix et de la non-violence. Vous avez pris certaines précautions. Vous vous êtes gardé de faire l'apologie de la guerre : celle-ci, avez-vous pris soin de dire, « n'est jamais glorieuse et nous ne devons jamais l'honorer en tant que telle ». Mais il est vrai que, quand tout est dit, le concept de la « guerre juste » apparaît comme l'idée majeure qui structure ...
Comment un chef d'État en guerre peut-il être honoré par le Prix Nobel de la Paix ? Dans son discours d'Oslo prononcé le 10 décembre 2009 lors de la réception de ce prix, Barack Obama s'est efforcé de répondre à cette question en présentant ses conceptions de la guerre, de la paix, mais aussi de la non-violence.
En réponse à ces conceptions, Jean-Marie Muller a écrit cette lettre ouverte au Président américain; en militant de la paix et de la non-violence, il a voulu venir dialoguer en argumentant. démontrant. exhortant le Président du pays le plus puissant du monde à considérer la violence comme le poison qui menace le plus certainement l'humanité ; et tenter de le persuader que la petite flamme fragile de la non-violence, allumée naguère par Gandhi. est rune des rares possibilités à nous offrir l'espérance, face aux terribles défis du XXIème siècle ...
Membre fondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), Jean-Marie Muller est directeur des études à l'Institut de Recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC).
Philosophe et écrivain, il est l'auteur de nombreux ouvrages de référence dont plusieurs ont été publiés à l'étranger. En 1984, son livre Stratégie de l'action non-violente a été publié dans la clandestinité en Pologne, où il a inspiré le mouvement de résistance rassemblé autour du syndicat Solidamosc.
Conférencier et formateur, il parcourt le monde à l'invitation des mouvements de défense des droits de l'homme.