Il y a quelque temps, l'idée a germé, dans le Comité de notre revue, de rédiger un lexique pour clarifier les notions les plus couramment utilisées à propos de l'action non-violente. Cette idée aurait sans doute tardé à se concrétiser si Jean-Marie Muller n'avait accepté la charge de ce travail important. Nous l'en remercions vivement, ainsi que l'Institut de Recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC) qui l'a soutenu.
Il est normal que l'auteur, assumant seul cette tâche, ait traité cette ample matière en fonction de ses propres conceptions. Certaines des opinions exprimées ici peuvent faire l'objet de discussion au sein de notre Comité ; mais c'est la part, bien normale et bien nécessaire, du débat d'idées dans une revue comme la nôtre.
Nous sommes heureux de publier ce travail qui représente à nos yeux un outil précieux et très neuf pour approfondir la réflexion sur l'action non-violente, réflexion qui constitue l'un des objectifs majeurs de notre revue depuis sa fondation.
A.N.V (Alternatives Non-violentes)
La non-violence reste encore largement étrangère à la culture qui façonne notre intelligence. Les concepts autour desquels notre pensée s'ordonne et se structure laissent peu de place à celui de non-violence, tandis que la violence fait partie intégrante de notre univers conceptuel. La non-violence vient en quelque sorte bouleverser nos points de repère. Le concept même de non-violence se heurte, dans notre esprit, à de telle difficultés que nous sommes souvent tentés d'en récuser la pertinence.
Et pourtant, la non-violence commence à sortir des groupes militants dans lesquels elle se trouvait jusqu'à présent confinée. Les noms et les visages de Gandhi et de Martin Luther King sont connus et respectés même si, le plus souvent, ils évoquent des personnages qui restent lointains. Il arrive parfois que l'actualité présente certains événements en parlant de non-violence. Mais, si nous avons parfois l'intuition que la non-violence pourrait ouvrir de nouveaux horizons à la réflexion et à l'action, nos habitudes de pensée reprennent bien vite leurs droits.
Malgré tout, la non-violence commence à devenir discutable, c'est-à-dire digne d'être discutée. Ce lexique voudrait favoriser cette discussion.
Pour nous libérer des confusions et des équivoques qui pèsent sur la non-violence, nous avons besoin d'un langage clair, rationnel et cohérent. Nous ne prétendons pas avoir trouvé ce langage. Simplement, nous sommes partis à sa recherche. Ce lexique veut faire partager cette recherche.
Nous avons fait le choix délibéré de ne pas «donner des exemples» pour illustrer nos propos. Cette absence de références à des exemples concrets peut parfois rendre la lecture plus aride. Mais la présentation et l'analyse des expériences d'action non-violente auxquelles nous aurions pu souvent nous référer aurait enflé plus qu'il ne convenait le texte de chaque article. En procédant ainsi, nous avons pu atteindre la concision qui correspond aux normes d'un lexique.
En outre, cette méthode nous a obligé à plus de rigueur dans la réflexion. Le fait de se référer à des exemples concrets peut être un procédé de facilité qui dispense de préciser davantage les concepts et d'approfondir leur signification. Certes, il n'y a pas de réflexion théorique qui ne s'enracine dans l'observation et l'analyse des expériences historiques. Tout au long de ces pages, la référence aux faits reste implicite mais elle est toujours présente (1).
Nous avons rédigé l'ensemble des articles qui composent ce lexique en sorte que chacun d'entre eux se suffise à luimême et puisse ainsi faire l'objet d'une lecture autonome. Cela nous a conduit à rappeler parfois, ne serait-ce que d'une phrase, ce qui est «déjà dit» dans d'autres articles. Nous espérons que ces rappels, qui établissent des passerelles entre les différents articles afin de faciliter la circulation à l'intérieur du lexique, ne seront pas perçus comme des redites.
Certes, il existe différentes approches de la non-violence. Celles-ci conduisent vers des conceptions diverses qui présentent entre elles des convergences mais aussi des divergences. L'exposé, l'examen et la discussion de ces divergences auraient dépassé le cadre de ce lexique. Celui-ci n'a donc aucune prétention «encyclopédique». Mais il y a certainement place pour un tel travail.
Nous n'entendons pas dissimuler que la conception de la non-violence que nous présentons à travers les soixante-huit articles de ce lexique résulte de choix éthiques, philosophiques et politiques qui, par nature, nous sont personnels. Nous espérons cependant - et, pour une part, nous savons - qu'ils rejoignent les choix de beaucoup d'autres. Chaque fois, nous avons donc pris parti mais en nous efforçant de ne pas figer notre réflexion afin que le débat et le dialogue puissent s'établir dans le respect mutuel des convictions des uns et des autres.
J.M. MULLER
(1) Pour le reste, nous croyons beaucoup à la valeur de la pédagogie de l'exemple concret. C'est elle que nous nous sommes efforcé de mettre en oeuvre dans nos ouvrages précédents, notamment dans "Stratégie de l'action non-violente" (Le Seuil, Col. Points Politique) et "Vous avez dit : «Pacifisme» ?, De la menace nucléaire à la défense civile non-violente" (Le Cerf).
action directe
agressivité
anarchisme
antimilitarisme
autogestion
autoréduction
boycott
clandestinité
conflit
contrainte
défense civile non-violente
désarmement
désobéissance civile
dialogue
dissuasion civile
écologie
esprit de défense
état
force
grève
grève de la faim limitée
grève de la faim illimitée
grève générale
guerre
humour
interposition
jeu de rôles
jeûne
leader
lutte
lutte des classes
marche
morale
moyens
négociations
non-coopération
non-violence
objection de conscience
obstruction
opinion publique
organisation
pacifisme
parole
pétition
peur
police
politique
pouvoir
prison
programme constructif
réconciliation
reconversion
refus de l'impôt
répression
résistance passive
sabotage
sanctions économiques
sécurité commune
service d'ordre
sit-in
stratégie
tactique
théâtre-tract
transarmement
usurpation civile
ventes d'armes
vigilance
violence
La non-violence est un mode de gestion des conflits qui exclut le recours à la violence ; telle pourrait être la définition succincte du thème central de recherche de l'IRNC.
La non-violence a déjà été expérimentée dans le monde et parfois en France. Quelques auteurs, romanciers, journalistes ou essayistes l'ont déjà abordée dans leurs écrits. Elle bénéfice d'un courant de sympathie dans une opinion publique de plus en plus préoccupée par la violence (1). Dans ces conditions, on peut considérer comme anormal, au moins dans le contexte français, que la non-violence, pendant si longtemps, n'ait été reconnue comme un thème de recherche scientifique, ni par le monde de la recherche, ni par les pouvoirs publics français.
L'IRNC a été créé en 1984 pour combler cette lacune : porté à ses débuts par des mouvements d'opinion, il peut aujourd'hui développer une activité scientifique indépendante et prétendre donner la place qu'elle mérite à l'hypothèse de la non-violence, aussi bien dans les sciences sociales (histoire, sociologie, psychologie ... ) que dans des disciplines d'application ou prospectives (économie, gestion de la société et des sociétés ... ). Parmi ces dernières, il en est une qui a joué historiquement un rôle prépondérant dans sa création : l'application de la non-violence aux stratégies de défense d'un pays ; ce thème, déterminant pour l'avenir, reste l'une des vocations premières de l'IRNC qui, cependant, a élargi son champ de recherche.
L'IRNC ne prétend pas mener des recherches dans tous les secteurs : il se propose seulement de développer des recherches pluridisciplinaires dans quelques secteurs sélectionnés et d'encourager, par ailleurs, les chercheurs qui, chacun dans sa spécialité, souhaiteraient prendre en compte eux-mêmes l'hypothèse de la non-violence.
(1) Un sondage Louis-Harris/La Vie a révélé dès 1982 que 62 % des Français étaient favorables ou plutôt favorables à un financement de la recherche sur les moyens de défense non-violents ; un autre sondage IFOP-SGDN venait confirmer ceci en 1984. révélant que 59 % des Français estimaient tout à fait ou assez nécessaire une formation de la population civile à la résistance non-violente
«L'homme, dans ce monde de conflits et de tensions, n'a-t-il de choix qu'entre une passivité résignée, un lâche renoncement à l'exigence impérieuse de libération qui constitue son être, ou la dégradation de son agressivité naturelle en une violence meurtrière qui détruit ce qu'il y a d'humain en lui ?
La non-violence est une idée neuve qui perce une terre aride et pousse à travers les décombres des espoirs ruinés avec l'indomptable puissance de vie des jeunes plantes qui cherchent la lumière. Elle s'enracine dans l'espérance, se nourrit de la force de la justice.»
Jacques de BOLLARDIÈRE
Jean-Marie Muller est membre-fondateur du Mouvement pour une Alternative Non- Violente (MAN) .
Il a publié plusieurs ouvrages sur la non-violence, notamment : "Stratégie de l'action non-violente" (Le Seuil, Col. Points Politique, 1981) et "Vous avez dit : «Pacifisme» ?, De la menace nucléaire à la défense civile non-violente" (Le Cerf, 1984).
Il est également co-auteur, avec Christian Mellon et Jacques Sémelin, de "La Dissuasion Civile" (Fondation pour les Etudes de Défense Nationale, 1985).
Jean-Marie Muller est actuellement chargé de recherches à l'Institut de Recherche sur la Résolution Non-violente des Conflits (IRNC).